La dernière traversée 

17-18 Novembre 1905

   

 

 

   Il est 22 heures le 17 Novembre lorsque le Hilda appareille de Southampton pour Saint Malo avec 103 passagers à son bord. Le temps brumeux au départ se transforme bientôt en un brouillard épais qui oblige le Capitaine William Gregory à passer la nuit au mouillage à la hauteur de Yarmouth, Ile de Wight. A 6 heures du matin, la visibilité étant redevenue meilleure, le vapeur peut reprendre sa route.

   La traversée de la Manche est effectuée sans incidents mais le temps se dégrade rapidement à partir d'Aurigny. Le Hilda rencontre alors une mer qui va grossir au fil des heures sous l'effet d'un vent d'est glacial qui va se renforçant. Le ciel menaçant se charge de lourds nuages et bientôt ce sont des averses de neige fondante qui réduisent la visibilité.

   Vers 18 heures, lorsque le Hilda se présente enfin au large de Saint Malo, un grain de neige masque le feu du phare du Jardin. Privé de repère d'alignement pour s'engager dans les passes, le Capitaine Gregory doit renoncer une première fois et remettre cap au large en attendant l'embellie.

     Ce qui va se passer à bord entre cette heure et l'heure du drame n'est pas parfaitement connu ; tout ce que l'on sait c'est qu'à plusieurs reprises, Gregory effectue une tentative d'entrée dans les passes mais doit renoncer faute de visibilité. Finalement peu avant 23 heures selon le témoignage des rescapés, le feu du phare aurait été aperçu et le navire s'est engagé dans la passe. Quelques instants après, le navire se jetait sur un groupe de récifs situés à quelques centaines de mètres sur tribord de l'axe de la passe. Erreur de navigation ? Erreur de position ? Difficile à dire. En tout cas, une certaine pression s'exerçait sur le Capitaine en raison du retard pris sur l'horaire, de la probabilité de ne pas pouvoir entrer au bassin le soir même en raison de la marée descendante et enfin de la situation de ses passagers malmenés par la mer et dont beaucoup étaient malades. A-t-il pour toutes ces raisons pris un risque inconsidéré ? Il ne pourra jamais s'en expliquer.

   Quoi qu'il en soit, le Hilda vient donc se fracasser sur la roche la plus orientale du groupe et la coque se trouve en porte à faux sur le récif avec une marée descendante, ce qui ne peut qu'aggraver la situation du navire. On tente de mettre les canots de sauvetage à la mer mais dans le gros temps, l'évacuation tourne rapidement à la catastrophe. Un seul canot parviendra à déborder. Ses restes ainsi qu'une soixantaine de cadavres seront découverts à l'aube sur la plage de Saint Cast.

   En une dizaine de minutes, le sort du Hilda est scellé ; le navire se brise en deux, la partie avant basculant d'un côté du récif, la partie arrière s'enfonçant sur la face ouest de la roche. La profondeur relativement faible fait que l'épave ne sera pas totalement submergée, ce qui permet à une vingtaine de rescapés de se réfugier dans le mât arrière. C'est là que le lendemain matin, le vapeur Ada de la même compagnie va les retrouver. Ils ne sont plus que six ! Parmi eux, un seul membre d'équipage, le matelot James Grinter qui n'était pas de quart au moment de l'accident.  

   Le bilan est très lourd. Cent vingt cinq victimes sur les 131 personnes qui se trouvaient à bord.

   Outre les cadavres rejetés à Saint Cast, les marées des jours suivants apporteront sur les plages de la région de nouveaux corps, le dernier étant retrouvé en Janvier.

   Cette catastrophe provoquera une vive émotion dans tout le pays car la plupart des victimes sont des Johnnies, ces marchands d'oignons de Roscoff et de sa région qui rentraient d'une saison de vente de leur récolte en Grande Bretagne. Dans beaucoup de familles on déplore la perte d'un père, d'un fils, voire de plusieurs à la fois et ainsi le gagne-pain. Un photographe de Saint Malo fera toute une série de photos de l'épave, du navire et de son Capitaine. Ces vues seront commercialisées sous forme de cartes postales et la recette de leur vente sera reversée aux familles des disparus. C'est ainsi que de nos jours, on retrouve encore bon nombre d'entre elles dans les collections des bouquinistes.