Le tragique retour de l'Ecole des mousses

 

 

Mars 1878
Lu Ma  Me  Je Ve Sa Di
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L' Eurydice vient de couler, un canot de l'Emma recueille les rescapés

Peinture de John Howard Worsley

 

CARACTERISTIQUES du NAVIRE  

 

Chantier  :  Portsmouth Dockyard

Année de mise en service : 1843

Longueur :  43 m

Largeur :  11 m 60

Creux :  2 m 65

Tonnage : 921 tonnes, 26 canons

   La frégate avait été retirée du service actif puis transformée en navire-école à l'usage des mousses. C'est à ce titre qu'elle avait repris du service en Février 1877.

 

Dunnose Head vue de Luccombe Chine (Ile de Wight)

La frégate HMS Eurydice, Captain Marcus Hare, rentrait d'un voyage d'application de l'Ecole des Mousses de la Royal Navy et se dirigeait vers Portsmouth. A son bord se trouvaient 320 hommes dont environ 200 mousses âgés de 13 à 16 ans qui avaient embarqué à son bord 132 jours plus tôt. Le voyage avait conduit la frégate en Mer des Antilles et après une dernière escale aux Bermudes suivie d'une rapide traversée de dix jours, elle devait atteindre Portsmouth dans la soirée de ce Dimanche 24 Mars 1878.

Vers 15 heures 30, durant le quart de l'Enseigne Edward Gifford, le navire filait alors toutes voiles dehors vers Spithead après avoir laissé sur bâbord arrière Dunnose Head, Ile de Wight, quand brusquement le vent tomba complètement sous un ciel particulièrement noir. Hare comprenant la menace fit aussitôt carguer les voiles d'étai et les cacatois. C'est alors qu'un coup de vent d'ouest précédé d'un éclair fulgurant prit la frégate par son travers bâbord et la fit s'incliner jusqu'à mettre la lisse dans l'eau. En quelques minutes, le coup de vent cessa mais presque aussitôt un véritable ouragan accompagné d'un fort grain de neige frappa le bord opposé du navire avec une violence inouie. Couchée par le vent, l'Eurydice engagea son bout dehors et ses focs dans une très forte lame, et ne parvint plus à se relever. La mer en furie commença alors à mettre le navire en pièces, emportant par-dessus bord 5 hommes dont trois blessés grièvement par la chute d'une vergue à cet instant précis, devaient décéder peu après. Les deux autres, les gabiers Benjamin Cuddiford et Sydney Fletcher, virent alors la poupe sortir de l'eau et la frégate s'enfoncer par l'avant. En deux minutes, le drame était consommé et l'Eurydice comme happée par une mystérieuse force, avait disparu de la surface. Aussi brutalement qu'il était survenu, le coup de vent d'est cessa et le vent reprit un régime d'ouest régulier.

Par chance, à quelques encâblures derrière la frégate, se trouvait la goélette Emma dont l'équipage médusé constata dès que le grain de neige cessa que l'Eurydice avait disparu et qu'il ne subsistait plus d'elle que des épaves et cinq naufragés dont trois d'entre eux, les trois blessés, devaient décéder peu après. La goélette avait elle subi un coup de vent mais d'une force nullement comparable à ce qu'avait encaissé la frégate à moins d'un mille devant.

La frégate Eurydice venait de rencontrer une tornade, phénomène météorologique tout à fait exceptionnel sous nos latitudes. Elle emportait avec elle dans la mort 318 hommes. Une opération de sauvetage permit de renflouer l'épave qui fut ensuite remorquée jusqu'à Portsmouth le 1er Septembre 1878 où elle fut démantelée peu après. La cloche du navire est toujours visible à St. Paul's Church, Shanklin, Ile de Wight.

 

 

          Gravure illustrant le Times du 26.3.1878

 HMS EURYDICE  -  (Courtesy of world naval ships.com)

 

 

Le fantôme de l'Eurydice…

La légende du fantôme de l'Eurydice commença le jour même de sa disparition. Le 24 Mars à Windsor, dans l'après-midi, l'Evèque de Ripon et Sir John Mac Niell, dinaient en compagnie de Sir John Cowell quand tout-à-coup, Mac Niell s'exclama "Dieu du Ciel, pourquoi ne ferment-ils pas les sabords et ne carguent-ils pas les voiles ?". Quand Cowell lui demanda ce qu'il voulait dire, il ne sut que répondre qu'il venait d'avoir la vision d'un navire qui remontait la Manche toutes voiles dehors avec ses sabords ouverts tandis qu'un énorme grain s'abattait sur lui.

Après le naufrage, plusieurs personnes virent des apparitions d'un trois-mâts qui disparaissait en approchant. Beaucoup ont attribué cette vision à la réflexion de la lumière dans la brume, pourtant en 1930, dans ces parages, le Capitaine de corvette Lipscomb qui commandait un sous-marin, fut contraint d'effectuer une manœuvre pour éviter une collision avec un grand navire sous voiles qui disparût peu après…

Plus récemment, le 16 Octobre 1998, c'est le prince Edward qui effectuait un enregistrement video consacré à l'Ile de Wight pour la série TV "Crown and Country". Il évoquait le naufrage de l' Eurydice en se demandant comment il pourrait bien illustrer le fantôme de la frégate quand soudain, quelqu'un s'écria :"Regardez ! Il y en a un sur la mer ! " Et en effet, il y avait un trois-mâts goélette qui venait d'apparaître sur la mer. On s'empressa de le filmer mais comme il se rapprochait de la côte; il disparût…

Lorsque l'on voulut visionner la cassette, la bande s'entortilla dans le lecteur et ne put être lue. Commentant l'incident, le prince déclara :

"… Il y a véritablement quelque chose d'étrange ici, mais je ne peux pas dire quoi. Je ne peux croire qu'il puisse ne s'agir que de l'imagination des gens. Il y a autre chose. Je n'ai jamais rencontré de fantôme mais j'aimerais bien en rencontrer un."

C'est au cours d'une conférence de presse donnée le 16 Octobre 1998 à Portsmouth à propos de cette nouvelle série de ITV que le prince fit cette révélation. Le soir même, des fans de navires ajoutaient un peu plus de mystère en disant que le jour où Edward aperçût le trois-mâts, aucun navire correspondant à cette description n'était à la mer dans ce secteur.

(Source: The Mirror - 17 Oct . 1998)

 

Commentaires sur le phénomène météorologique :

La situation météorologique rencontrée par l'Eurydice est selon la description qui en est faite, la manifestation d'une ligne de grains associée vraisemblablement à un orage supercellulaire au vu de l'intensité du phénomène et ce malgré sa localisation limitée. Cette situation a été évoquée par l'Hon. Ralph Abercromby en 1884 dans le n°172 du Journal of the Royal Meteorological Society. Le changement de direction du vent qui, dans ce cas apparaît avoir été de l'ouest au nord-est tandis que le temps changeait complètement, passant du ciel bleu à l'averse de neige ou de grèle, plaide fortement en faveur de ce type de phénomène.

L'orage supercellulaire est formé d'une seule cellule convective de très forte intensité. Dans cette cellule convective se forme un courant ascendant et descendant intense, ce qui explique le changement d'orientation du vent au passage du grain. De même, la première rafale que la frégate a subie est très vraisemblablement la manifestation du front de rafale qui se produit en avant du cumulo-nimbus. (Voir l'illustration ci-dessous)

 

 

Les rafales sont au plus fort lorsque le courant descendant atteint le sol (la mer), c'est-à-dire peu de temps après le début des précipitations. L'anneau de fortes rafales s'étale alors vers l'extérieur de la zone de précipitation, avec une vitesse de déplacement maximale dans la direction du vent dominant.

Ces explications tendent à montrer comment le drame a pu se jouer. Il faut ensuite y associer par l'imagination, la violence inhabituelle du grain qui a assailli l'Eurydice pour mieux appréhender le phénomène dans sa totalité.    

Ces deux vues de cumulonimbus particulièrement denses me paraissent représentatives de la situation qui a pu se présenter aux yeux de l'équipage de la frégate peu avant le drame. La mer par contre n'était sans doute pas aussi calme que sur les photos mais pour le reste, ce serait ressemblant.

Semblable phénomène n'est pas exceptionnel ; ce qui le fût ce jour là, c'est sa très grande violence.

  Dans St. Ann's Church à Portsmouth sur la façade ouest de la nef, au nord de l'entrée principale, un memorial rappelle la catastrophe.

EURYDICE
OFFICERS AND CREW
WHO WERE LOST BY THE FOUNDERING OF
H.M.SHIP "EURYDICE"
OFF DUNNOSE, ISLE OF WIGHT
MARCH 24TH 1878
___________________
 
16 OFFICERS
268 MEN
26 MARINES
7 MILITARY PASSENGERS

Et pour finir, en mémoire de tous ces petits mousses perdus dans le naufrage,

ce court poême composé par Gerard Manley Hopkins :

 

Too proud, too proud, what a press she bore !
Royal, and all her royals wore.
Sharp with her, shorten sail !
Too late; lost; gone with the gale.

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   Sources d'information :

   Dictionnary of disasters at sea, Charles Hocking, Lloyd's Register of Shipping, London, 1969.

   Liens Internet :

   http://www.pdavis.nl/Background.htm

   Site consacré au chirurgien de Marine William Loney qui navigua un temps à bord de l'Eurydice. On y trouvera notamment un récit du naufrage.

   http://www.memorials.inportsmouth.co.uk/churches/st_anns/eurydice.htm#names

   Avec la liste des hommes à bord le jour du naufrage.